Histoire générale des sociétés musicales dans le Hainaut Occidental.

«C'est dès la fin du XVIIIème siècle qu'apparaissent les premières sociétés de musique, d'abord de type harmonie ensuite fanfare, dans le Hainaut Occidental. On va connaître un véritable "boum" de sociétés de ces deux types pendant tout le XIXème siècle.

   A l'origine donc, c'est le type harmonie qui règne. Dans certains cas, l'harmonie se constitue à partir d'une autre institution musicale tandis que dans d'autres elle est directement créée comme telle.

   Avant l'apparition des harmonies, les populations de nos régions disposaient, principalement en ville, de quelques possibilités d'auditions musicales. Il existait depuis le moyen-âge des musiciens, ménétriers et cornemuseux, qui prêtaient leurs services à l'occasion des réjouissances publiques ou fêtes privées. Cependant, c'est surtout à l'occasion des offices religieux que la population de nos régions rencontrait la musique. Le plain-chant, régulièrement utilisé dans les églises, pouvait être enseigné aux laïcs tandis que les églises s'assuraient les services d'un organiste. Au XVIème siècle, il existait des sociétés de musiciens, placées sous le patronage de Sainte-Cécile et, subsidiées par les villes pour rehausser les cérémonies religieuses. C'est sous la République Française que la musique prend un nouveau tournant. La Belgique est occupée par la France de 1792 à 1793 et de 1794 à 1795. Le 1er octobre 1795, la Belgique est annexée à la France et ce jusqu'en 1815. L'idéologie républicaine par son souffle, son organisation de fêtes solennelles, ses appels au peuple, va donner une impulsion nouvelle et irrésistible au besoin de sonorités fortes. Les sonorités "guerrières" doivent être exaltantes et présentes à toute la vie officielle, même civile. Les autorités ont établi une liste des fêtes républicaines dont le déroulement prévoit la présence d'une "musique guerrière".

   C'est sur un fond d'aspirations populaires et de changement social que s'opère la montée d'une bourgeoisie conquérante, peu différenciée encore de la masse et qui cherche dans les harmonies une expression de son dynamisme. Sur le plan de l'exécution musicale, les harmonies présentent, par la puissance et la vigueur de leur sonorité, pourtant encore à parfaire, une originalité marquée par rapport aux institutions musicales existant jusqu'alors. Les harmonies occuperont tous les terrains couverts jusque là par d'autres formes d'expression musicale : les fêtes profanes, devenues plus nombreuses, certaines fêtes religieuses, l'accompagnement des armées et des cortèges, les concerts en salle ou en plein air... La musique réservée jusque-là à des professionnels, va, dans les harmonies, être le plus souvent le fait d'amateurs. Plus de dépendance vis-à-vis de l'église ou des privilégiés. Des citoyens responsables sont désormais en mesure de "fabriquer" ensemble leur musique. Quoi qu'il en soit, les occasions de jouer et d'entendre de la musique seront désormais multipliées et l'univers sonore de nos populations en sera profondément modifié.

   L'âge d'or des harmonies et fanfares se situe entre 1840 et 1920. A partir de 1840, le mouvement de créations de sociétés de musique va s'accélérer, progressant surtout dans les régions rurales, si bien qu'aux environs de 1900, chaque commune à peu près en possèdera au moins une.

   Sans entrer dans l'énumération des créations de sociétés, notons cependant que :

1. la fanfare va progressivement supplanter l'harmonie, si bien qu'avant la première

guerre mondiale les harmonies ne représentent plus, en gros, qu'un quart de l'effectif total des sociétés de musique;

2. la grande période de création des sociétés de musique dans

dans le Hainaut Occidental va de 1850 à 1880 environ; d'assez nombreuses sociétés chorales ont été créées entre, en gros, 1850 et 1880;

3 ces sociétés ont souvent été associées aux harmonies et fanfares et que dans certains cas elles ont été à l'origine de celles-ci;

4. le dynamisme du phénomène est tel que l'on n'hésitera pas à créer deux sociétés

rivales dans une commune, même petite. Cette multiplication sera due, dans certains cas, à l'abondance des musiciens ou des candidats musiciens, à la concurrence entre deux cafetiers, à des dissensions;

5. les luttes politiques très vives sur le plan national entre catholiques et libéraux amèneront la coloration politique des harmonies et fanfares principalement à partir

de la guerre scolaire (1879).

Des sociétés de musique catholiques et libérales seront créées (création d'une société libérale à Ellezelles en 1880).

Dans un second temps apparaîtront les premières sociétés de musique ouvrières (Lessines, par exemple, vers 1900).

   Au lendemain de la première guerre mondiale, la situation des harmonies et fanfares ne semble pas avoir beaucoup changé. Quelques sociétés ont bien disparu mais la plupart ont repris leurs activités. De nouvelles fanfares et harmonies "ouvrières" sont créées. Dans certaines communes on pourra trouver trois sociétés musicales, chacune d'elles correspondant à un des partis politiques. Les sociétés musicales, toujours associées aux grands moments de la vie communautaire, trouvent un nouveau champ où intervenir : les célébrations patriotiques. La poursuite de l'unité devient de plus en plus diverses et nombreuses mais s'apportent un secours mutuel dans leurs initiatives. Les mêmes personnes occupent des postes de dirigeant dans plusieurs sociétés . Un même café servira de local à plusieurs groupements. La politique tentera de faire son chemin à travers ces jeux entrecroisés. La population est plus mobile aussi, changeant plus facilement de domicile, travaillant au dehors. Les obligations professionnelles sont plus impératives. L'assistance aux funérailles des membres par exemple commence à devenir plus problématique. Les sociétés musicales éprouvent désormais bien des difficultés à maintenir leurs rythmes anciens. Elles vont aussi devoir affronter de nouveaux défis. L'apparition du disque et de la radio multiplie les sources de musique et les individualise. La perfection des exécutions, perceptible par le grand public, met en cause la qualité musicale des harmonies et fanfares. Pour encourager celles-ci à rechercher la perfection musicale, la Province de Hainaut créera en 1925 les Tournois Provinciaux d'Art Musical auxquels les sociétés du Hainaut Occidental participeront moins et avec moins de succès, au début, que celles d'autres régions. Les sociétés de musique devront aussi affronter la nouvelle musique populaire, américaine pour une bonne part, marquée par le jazz et ses rythmes nouveaux. D'autre part, les classes scolarisées n'auront plus le même goût qu'un siècle plus tôt pour les pièces habituellement au répertoire des sociétés musicales locales. Le problème du répertoire est posé. Les renouvellements tarderont pourtant. Autre signe des temps, une femme entre en 1932 comme saxophoniste dans l'Harmonie de Ploegsteert, non sans difficultés d'ailleurs, car vu le contexte catholique de la société, quelques-uns voient dans cette innovation une menace, un esprit de perversion. Ce phénomène, plus rapide en France, fera surtout sentir ses effets après la seconde guerre, le plus souvent à partir des sociétés frontalières.

   Au lendemain de la seconde guerre, les sociétés se reconstituent et les traditions reprennent. On voit ainsi dans les villages les musiciens accueillir les prisonniers de guerre qui reviennent un par un. Bientôt pourtant la situation va se dégrader. Du lendemain de la seconde guerre mondiale au début des années septante, on peut estimer que le Hainaut Occidental a perdu la moitié de ses fanfares et harmonies. Certaines disparaissent purement et simplement, d'autres fusionnent pour maintenir un effectif suffisant. Des villages important ou moyens n'ont plus une seule société musicale. Dans d'autres, il est souvent nécessaire de faire appel à des musiciens de sociétés voisines pour rassembler un groupe de musiciens suffisamment important.

Pourtant, le phénomène n'est pas mort puisque des sociétés se créent toujours (ex. : Fanfare Postale du Tournaisis en 1963) et que bon nombre se battent pour survivre.

   Il est à noter que depuis la fusion des communes en 1971, aucune société musicale nouvelle ne s'est encore constituée sur la base d'un territoire communal d'après fusion. La plupart des fanfares et harmonies restent liées aux anciennes communes.

   Pierre Mory dans son historique des harmonies et fanfares dans le Hainaut Occidental termine par une note plutôt optimiste : "Le regard nostalgique ou pessimiste n'est peut-être plus de mise aujourd'hui. Quelques signes en tout cas laissent croire que le mouvement harmonies et fanfares est au moins partiellement relancé dans le Hainaut Occidental."